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Le ventre de l’atlantique

23 octobre 2015 par Jacques Deruelle

Le ventre de l’atlantique
le ventre couv

Alors que le volume des échanges de marchandises a connu ces vingt dernières années une croissance exponentielle du fait de la mondialisation pour le plus grand profit des pays développés notamment Européens, la circulation des individus, depuis la fin des trente glorieuses n’a jamais été aussi entravée, des pays pauvres vers les pays riches évidemment, et non l’inverse. Le concept  d’immigration a  ainsi prospéré  légitimant des politiques publiques au parfum néocolonialiste. L’immigration doit être « choisie », fait l’objet de quotas, sera endiguée  à même les frontières là par des murs et des barbelés, ici encadrée par des politiques sécuritaires  Sarkho-Hollandiennes usant des rafles, de la rétention dans des centres surpeuplés, des reconduites musclées hors de nos frontières… Notre société médiatisée à l’extrême fait en général peu de cas des candidats à l’exil hommes ou femmes souvent jeunes, fuyant la misère, la sécheresse,  les bombardements, les massacres. La notion « d’immigré » joue parfaitement son rôle de stigmatisation et de disqualification de l’être humain et son identité ne sera rétablie qu’à la lueur d’un petit cadavre échoué sur une plage. Notre conscience  est très peu sollicitée par les enjeux d’une solidarité de l’accueil, détournée par d’autres thématiques politiciennes de sa capacité d’empathie.  Contre l’anesthésie qui menace notre vigilance citoyenne abreuvée de vocables réducteurs, le livre demeure un excellent vecteur de la connaissance de l’autre au fondement de notre humanité culturellement édifiée par métissage. Nourri de sa rude expérience de Sénégalaise vivant en France depuis 1990, le ventre de l’Atlantique de Fatou Diome publié en 2003  compose un tableau édifiant des relations entre exilés et candidats à l’exil révélant l’ abîme qui sépare les représentations chimériques que notre société d’abondance provoque et l’effarante galère vécue par tout immigré à son arrivée sur le sol français.

Enfant « illégitime » élevée par une grand-mère aimante et encouragée dans ses études par Ndétaré l’instituteur communiste, Salie rêve d’une identité forgée à la culture française mais déchante à son arrivée en Eldorado, car n’étant pas « Blanche neige », elle est rejetée par la belle famille de son époux et divorce ne survivant plus que de petits boulots pour financer ses études.  Sur l’Île de Niodior, Mandické, son frère passionné de ballon rond la harcèle au téléphone pour arranger son admission dans un grand club de football français. El-Hadj le riche négociant rentré au pays fortune faite au quartier Barbès, n’entretient-il pas la chimère de l’opulence à portée de main au royaume de France se gardant bien d’énoncer la vérité des journées de labeur au marteau piqueur ou au « flicage » de ses congénères en tant que vigile de supermarchés, la réalité aussi des nuits passées parfois sous les ponts et souvent en foyer Sonacotra!  Dans cette île de grande pauvreté, celui qui a  travaillé en France peut faire illusion durablement et susciter des vocations au départ. L’échec de Moussa le sans papiers errant arrêté à Paris puis reconduit à Dakar et tant brocardé par les siens qu’il se suicide en mer n’alarme en rien la plupart des aspirants à l’exil, envieux d’un pays de cocagne aux multiples richesses entrevues chez l’homme de Barbès, détenteur au village du seul écran de télévision. 

 

le ventre enfants

Dans Le ventre de l’atlantique, d’une voix forte colorée d’indignation mais aussi d’humour, Fatou Diome démystifie le mirage d’un Éden français pour l’Africain démuni qui pâtira d’une trajectoire précarisée en forme de chemin de croix.  Sa couleur de peau accessoirise toujours la citoyenneté. Le slogan « France Black Blanc Beur »  sert de masque angélique à une inflexible réalité du rejet. Mais sa plume acérée n’épargne pas non plus les pratiques ancestrales comme la polygamie facteur d’appauvrissement d’un cercle familial élastique, les croyances ataviques qui sont autant de fardeaux pour l’immigré porteur d’un inépuisable devoir  d’assistance vis à vis des membres du patriclan, pour la femme qui n’a vocation qu’à la fertilité et à l’allaitement sous l’influence de marabouts sans scrupules. « Le monde s’offre mais il n’enlace personne »! Le ventre de l’atlantique est un roman militant nourri de l’expérience des voyages en terres d’épreuves, notre propre territoire où l’égalité entre les êtres humains reste à conquérir. La grande figure de Diome exprime la nécessité du combat sur un support très éloigné des écrans des chaînes  généralistes de la télévision française…

 

Le ventre de l'Atlantique

 

 

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