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Dora Bruder

1 janvier 2015 par Jacques Deruelle

dora bruder couv

Sitôt la défaite consommée, l’État français du maréchal Pétain afficha ouvertement son antisémitisme en promulguant un « statut des juifs » et une obligation de recensement dans les Préfectures.

Première étape anodine du processus criminel de sélection, l’affichage à la porte des  Mairies et la publication dans le presse de cet avis préfectoral:

AVIS AUX ISRAÉLITES
Le Sous-Préfet de Cognac invite les Israélites
ayant fait la déclaration prévue par l’Ordonnance
du 27-9-1940 du Commandant en chef de
l’Armée d’occupation, à se présenter
d’URGENCE à la Sous-Préfecture porteur
1°- s’ils sont français de leur carte d’identité ;
2°- s’ils ne sont pas de nationalité française de
leur carte d’identité d’étranger ou de leur
autorisation de séjour.
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La politique raciale des nazis trouvait à Vichy des serviteurs résolus et un appareil administratif et policier zélé dans l’organisation des premières rafles de juifs, hommes, femmes et enfants dans la région parisienne et de leur internement dans les camps de Pithiviers ou Drancy. Bien peu de fonctionnaires soumirent ces mesures discriminatoires à la critique de leur jugement pour les refuser, comme le Préfet Jean Moulin ou le Principal de Collège Antoine Gouze  et quelques citoyens aussitôt emprisonnés arborèrent par solidarité avec les réprouvés, l’étoile jaune. La passivité de l’opinion publique soumise à la propagande antisémite, sur les murs des villes, dans les salles de cinéma facilita le déroulement des arrestations, la confiscation des biens et la déportation par milliers des juifs de France. Ils étaient avec les résistants, appelés à disparaître comme nuit et brouillard sans laisser de traces, au terme d’un processus de déchéance programmée de leur humanité. Dans le Paris des années quarante au climat lourd de menaces et de peur légitimes, tout porteur de l’étoile jaune savait, aux difficultés de la survie quotidienne, à l’impossibilité de cacher sa famille, la précarité de son destin. Face à l’ampleur du génocide la loi du silence fut d’or pour taire les responsabilités après la libération. Des familles entières anéanties, leur biens spoliés et si peu de survivants invités à témoigner! Comment dès lors rendre hommage aujourd’hui au sort de ces quatre vingt mille êtres humains anéantis dans l’indifférence générale? En stimulant le devoir de mémoire à travers les arts, le cinéma (Shoah, la liste de Schindler…) ou la littérature, des récits magistraux de Charlotte Delbo aux romans exemplaires de Patrick Modiano, tel Dora Bruder publié en 1997, deux ans après la déclaration de Jacques Chirac au Vélodrome d’hiver.

dora bruder photo

L’auteur adopte pour champ d’investigation la disparition à Paris d’une jeune fille de quinze ans, Dora Bruder, mentionnée dans un vieux journal paru le 31 décembre 1941, à la rubrique avis de recherche. A l’issue d’une quête de huit années, à l’aide des traces administratives retrouvées dans quelques rapports de police, fichiers scolaires et registres d’internement conservés, il reconstitue avec la minutie d’un archéologue son identité et le scénario de son histoire familiale que trois photos complètent. Ses parents juifs étrangers sans emplois et sans ressources occupent une chambre d’hôtel réduite, boulevard Ornano tandis que Dora séjourne à la pension du Saint Cœur de Marie rue de Picpus, probablement mise à l’abri. Est-ce pour se soustraire à l’austérité de la règle et rongée par l’extrême solitude que la jeune fille fugue le quatorze décembre 1941? L’auteur échafaude cette hypothèse de ses propres affects de petit parisien mal aimé, placé en internat en 1960, révolté et fugueur, « une occasion rare d’être soi-même, mais  l’exaltation ne dure pas, votre élan est brisé net ».

Le cadre citadin parisien est porteur de la mémoire des scènes de vie qui s’y déroulèrent sous l’occupation, dans les années soixante ou quatre vingt dix et l’écrivain en perçoit les effluves, relève les mystérieuses correspondances tel le fouilleur, exhumant délicatement de la truelle et du pinceau les matériaux du passé par couches successives. Poursuivi par Javert, Jean Valjean et Cosette n’ont-ils pas, par extraordinaire trouvé refuge derrière les hauts murs d’un couvent rue de Picpus! Se souvenir de nos émotions, ressusciter une atmosphère particulière participe de la compréhension d’une identité qui se forge aussi dans son lien au quartier, selon le contexte des événements et parfois en fonction  d’éléments aussi diffus que la saisonnalité qui  fera ressentir en hiver, l’injustice plus durement.

Arrêtée par la police en Février 1942 au terme d’une mystérieuse escapade de quelques mois, Dora est internée à Drancy en Août et déportée à Auschwitz en Septembre où elle disparaîtra comme son père, ancien légionnaire français mutilé de la première guerre et sa mère, dans l’indifférence de l’époque. C’est pour réparer cette injustice incommensurable que Modiano, enfant lui-même souffre douleur, victime de l’incurie maternelle et de la désertion paternelle, se fait le porte parole des réprouvés de l’Histoire dont il se sent proche. Sans commettre le sacrilège de romancer le parcours de ces martyrs ni s’adonner à l’analyse vengeresse des fautes et des lâchetés collectives, Dora Bruder restitue aussi fidèlement que possible la mémoire des disparus rompant ainsi la forfaiture de leur anéantissement. Des écrivains allemands comme Friedo Lampe ou Félix Hartlaub, des poètes français comme Jean Gilbert Lecomte ou Robert Desnos auteur d’un recueil « la place de l’étoile », également titre par incidence du premier roman de Patrick Modiano, furent « frappé par la foudre » comme l’héroïne, « servant de paratonnerre afin que d’autres soient épargnés » et deviennent les hérauts pudiques  des destinées les plus vulnérables.

dora bruder photo modiano

 

 

 

 

 

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