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Pas de printemps pour Marnie

19 décembre 2013 par Jacques Deruelle

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Popularisé au cinéma par Alfred Hitchcock, Pas de printemps pour Marnie publié en 1962 par le romancier Anglais Winston Graham, offre un modèle d’intrigue psychologique, un courant alors novateur de la littérature policière. Pour vider d’une Ville à l’autre le coffre de ses employeurs, une jeune femme Marnie Helmer s’attribue des identités multiples et dissociées, Mollie Jeffrey, Peggy Nicholson ou Marie Taylor dont elle se débarrasse au physique comme au mental, son larcin accompli en changeant de coiffure de robe et d’appartement. Marnie la secrète se ressource d’un bain purificateur et n’aime rien que de chevaucher sa jument Forio.

La narratrice va rituellement voir ensuite sa mère, une dame âgée qui vit avec son ancienne voisine et le confort de la gynécée est assuré par le produit des vols via la générosité d’un patron imaginaire. Marnie se conçoit comme la prunelle des yeux maternels avec le poids inexpliqué d’une réserve, expression peut-être d’une austère religiosité. Pour la vieille  dame en effet, la vie des saints tient lieu de référentiel et la relation masculine est considérée comme impie. «Le mariage ma fille, n’y pense pas, ce qui se passe sous les draps ne fait pas rire!»

La jeune comptable au passé mystérieux a dû s’éterniser un peu trop pour détourner la paie des employés de chez Rutland et, courtisée par l’administrateur principal Mark avec qui elle a partagé quelques sorties platoniques, la fugitive, perdue par sa passion des chevaux est retrouvée. Pour échapper à la police Marnie est contrainte d’épouser son admirateur profondément douché mais amoureux encore et disposé à la confiance.

Le mariage se révèle être un fiasco faute de relations sexuelles consenties par l’héroïne pour qui  femmes et hommes s’y dégradent tels des chiennes et des porcs, l’image de l’amour pur s’incarnant dans des images idéales et infantiles, une mère chatte transportant ses petits, des bras amicaux . La séance hebdomadaire concédée chez le psychiatre (un homme!) chargé par Mark de dénouer le blocage ne changera rien. Marnie protège son identité des coups de sonde du thérapeute en simulant, toujours insincère ou en s’emportant face aux questions centrales comme l’idée d’avoir des enfants avec une piqûre. Mark est en passe d’échouer dans l’orgueilleuse tentative de délivrer l’épouse de ses chaînes mentales… contre son gré!

Marnie lui dissimule même ses parties de poker du samedi soir entourée d’hommes d’affaires, à la table du cousin Terry un actionnaire minoritaire de la Firme Rutland, jaloux et retors. Elle gagne souvent, se révélant fin stratège, capable de calculer ses coups, maîtresse de ses émotions mais pas toujours apte à sentir le vent tourner, trop imbue de son intelligence.

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Lors d’une soirée mondaine, reconnue par un invité fraîchement grugé , Marnie parvient à donner le change avec l’aide de Mark mais songe à fuir son mari, son thérapeute, son détracteur, la police et la prison en perspective.

Avant de partir pour la France l’ultime visite de la jeune femme à sa mère tourne court et la découverte d’une ancienne coupure de presse conservée dans un sac à main révèle un secret brûlant de son enfance, un pan monstrueux de la généalogie familiale qui fait exploser d’un coup son univers de faux semblants.

Pas de printemps pour Marnie dresse le portrait d’une victime d’une névrose d’identification à une mère elle même porteuse d’une histoire violente. L’amour des chevaux apparaît comme un substitut au manque de figure paternelle dont l’héroïne a été tragiquement sevrée. Ses dons pour les mathématiques et les sciences entrevus dans l’adolescence sont dévoyés au profit de stratégies visant à détrousser l’employeur pour offrir à la mère un rempart fantasmé contre la misère. La voleuse n’a pas d’états d’âme. Sa personnalité s’est édifiée en doublures successives,  abolissant tout sentiment pour demeurer fidèle au précepte maternel de primauté de la virginité et pour satisfaire aux besoins matériels. La sainte horreur des hommes se traduit chez Marnie par le plaisir de les voler et d’assurer sur eux la suprématie de son intellect. L’addiction au pocker renouvelle aussi la fidélité symbolique à la mère par le truchement de l’intérêt voué au porte monnaie relié à ce jeu.

Comment déjouer le masque d’une mère façonné pour enterrer d’épouvantables tourments, l’imposition contre nature de la chasteté et ses interdits apparaissant dans l’éducation maternelle comme l’expression d’une pathologie mentale destinée à effacer toute trace mnésique d’un passé sordide clivant trop douloureusement la conscience! Winston Graham montre l’extrême difficulté à l’extraction d’une névrose qui oblige à une révision déchirante de la personnalité.

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L’auteur se révèle expert au décryptage du labyrinthe mental de son héroïne et montre les ravages du conditionnement parental quand il sclérose les fondements de l’instinct et le libre choix de la conscience. Creuser l’histoire familiale est alors une ardente nécessité pour éclairer la sortie de cette prison mentale.  De cette manière, chacun est apte à purifier l’âme de ses travers. Il revient à Marnie de vivre humainement en commençant par affronter ses peurs et, au lieu de le fuir, son passé de cleptomane.

 

 

 

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