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Kinderzimmer

28 décembre 2013 par Jacques Deruelle

kinderzimmer affiche

 

Pour Michelle qui m’a conseillé ce sublime roman.

Comment traduire à travers l’écriture l’horreur de l’univers concentrationnaire nazi et amener le lecteur au plus près de la réalité vécue sans trahir la mémoire des victimes des camps d’extermination, sans rien masquer des méfaits des bourreaux? Primo Levy dans son récit autobiographique «si c’était un homme» témoigna de son expérience à Auschwitz sans pathos, en clinicien méticuleux laissant au lecteur le soin de porter son jugement. Robert Anselme fit de même dans son livre «l’espèce humaine» qui montre le processus de déshumanisation à l’œuvre dans les camps. En s’appuyant sur la mémoire des rescapées, «Kinderzimmer» de Valentine Goby relate au présent, la chronologie de l’épreuve traversée par une jeune prisonnière politique enceinte à son arrivée à Ravensbrück.

Comprendre rapidement la langue du camp qui mêle l’Allemand, le Russe, le Polonais, le Tchèque et le Français des prisonnières, pour tenter de survivre dans cet enfer d’injonctions et de violence, trouver dans l’immense bloc une paillasse à partager à deux ou trois et garder toujours sur soi ses maigres affaires pour éviter les vols, connaître à jamais la faim nourrie d’uniques soupes claires, subir à trois heure trente chaque matin l’interminable appel immobile à peine vêtue sous un froid glacial, endurer la brutalité des sanctions, la bastonnade à la discrétion des gardiennes, la balle dans la nuque pour les plus faibles sélectionnés dans les rangs, souffrir de la dysenterie de la tuberculose ou de maladies graves au risque de finir empoisonné au Revier, le baraquement médical, l’héroïne découvre toute la panoplie des horreurs d’un camp d’extermination de quarante mille détenues dont une frange survit en tant que main-d’œuvre asservie à la production de guerre.

Taire impérativement la vie qu’on porte en soi jusqu’à l’accouchement: Mila Langlois la jeune femme enceinte d’un blessé anglais membre de son réseau découvre fin 44, la chambre des enfants dévolue au contrôle des naissances. Quarante nouveaux nés alignés sur un châlit nourris quatre fois par jour par les mères à la mamelle jusqu’à l’assèchement et qui meurent dans les trois mois faute de soins, de couches, de biberons, de lait malgré la solidarité des prisonnières et le dévouement désespéré de Sabine pédiatre affectée à la kinderzimmer et qui fabrique les tétines avec des gants de caoutchouc pour retarder l’inévitable décès dû à la dénutrition, au froid, aux diarrhées, aux morsures de rats.

Valentine Goby nous livre un grand roman d’une maternité plongée au cœur même d’un univers inhumain et monstrueux où se débat une jeune mère inexpérimentée et candide, trouvant dans les ressorts de l’entraide les moyens de subsister contre toute logique dans un présent toujours précaire et illusoire. Enfermé dans ses pauvres chiffons, le bébé incarne la folle résistance individuelle à l’oppression collective. Sa survie résonnerait comme une victoire inespérée sur la barbarie. Porter le témoignage de cette épreuve extrême, insensée, vécue à la Kinderzimmer par Marie José Chombart de Lauwe résistante exemplaire évoquée dans le roman constitue un admirable défi: exprimer l’ineffable réalité d’une idéologie de la sélection pour combattre les méfaits des résurgences toujours vivaces au Vingt et unième siècle!

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