Une équipe médicale intervenant contre la malnutrition en Afrique, soignant des réfugiés entassés dans des camps ou distribuant des colis de victuailles aux enfants victimes de la guerre au Proche-Orient ou en Europe forment des images valorisées par les médias de l’action humanitaire. Les ONG ont en effet bonne presse, possèdent des moyens financiers qui en font des acteurs d’importance sur le lieu des catastrophes, le théâtre des conflits internes ou des guerres. Mais cette interventionnisme croissant, quand il est même question aujourd’hui de sacraliser en droit le devoir d’ingérence, pose le problème de l’efficacité des politiques étrangères étatiques pour résoudre les crises internationales. L’humanitaire n’est-il pas devenu le cache misère des méfaits des politiques économiques impérialistes, l’expression de l’incurie des organisations internationales gouvernementales? Quelles répercussions cette réflexion citoyenne engendre t-elle sur l’acteur de terrain chargé de poser le pansement sans guérir la plaie et qui constate, bouleversé dans sa conception de la neutralité, que les politiques demeurent le plus souvent frappés d’inertie dans leurs calculs face aux souffrances subies par les populations, au Rwanda en Bosnie ou en Palestine…
Ces interrogations imprègnent le dernier roman de Jean-Christophe Rufin, relatant une course poursuite en camions de cinq humanitaires chargés de livrer une aide matérielle aux réfugiés musulmans d’une mine, sur les routes dangereuses de Bosnie au plus fort des combats de 1994. Lionel, grand fumeur de joints et chef dépassé de la mission, Maud jeune idéaliste bientôt déniaisée, Vauthier, une mouche des Services Secrets, Marc et Alex anciens militaires aux motivations inavouées. Et si le convoi humanitaire dissimulait autre chose que des couvertures et du chocolat … Sur les terres glacées de l’ex Yougoslavie parsemées de points de contrôles souvent périlleux, menacés par les luttes intestines des paysans et villageois en guerre, deux véhicules catarrheux offrent le spectacle d’un huis clos irrespirable chargé de rivalités puis de haine…
Dans Katiba, l’auteur orchestrait une manipulation afin de neutraliser un chef d’Al Qaida depuis une agence de renseignements, la Providence. Dans le parfum d’Adam, la même agence coordonnait une enquête visant à déjouer un complot planétaire contre des foyers de pauvreté, émanant d’une secte d’écologistes dévoyés. Jean Christophe Rufin éclaire avec aisance et sans ostentation la complexité de ses galaxies passées, les enjeux de l’action humanitaire dans les conflits armés, les dérives de l’écologie militante, le jeu subtil et marionnettiste des Services de renseignement. Des protagonistes attachants ou inquiétants, des héroïnes séduisantes traversent ces intrigues policières et amoureuses palpitantes et forment le carnet d’aventures brillant d’un romancier enquêteur prolifère à l’image d’un autre maître du suspense, John Le Carré.