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Seul dans Berlin

16 août 2015 par Jacques Deruelle

Seul dans Berlin
seul dans berlin affiche

Souvent posée, la question de la responsabilité du peuple allemand dans l’expansion du nazisme et sa folie génocidaire et meurtrière dont en France le massacre d’Oradour sur Glane fut l’odieux symbole, n’a jamais trouvé de réponse globale satisfaisante en raison sans doute de difficultés théoriques mais aussi à cause de la culture de l’oubli prônée par les acteurs, peu enclins à se regarder au miroir de la culpabilité. Faut-il examiner plutôt ce que fut le degré d’adhésion des citoyens depuis la prise de pouvoir de Hitler jusqu’à la capitulation du 8 Mai 1945, le niveau de la défiance populaire voire les traces d’une quelconque résistance! Or quelle pouvait être  la réalité  de la sédition dans un pays condamné à la tyrannie absolue, privé de tous les réseaux de solidarité issus des formes traditionnelles d’opposition, presse, syndicats, partis politiques complètement anéantis, comment combattre  un régime fasciste dont l’appareil policier et militaire sophistiqué éliminait méthodiquement tous ses adversaires! Chaque allemand dont la cellule  familiale avait éclaté dans la guerre,  s’est trouvé de fait partagé entre soutien et soumission et rarement conduit à la mutinerie par les sursauts de sa conscience. En France, Pétain profita longtemps de la même passivité peureuse de nombreux compatriotes.

Rare romancier à négliger le tabou de l’histoire des heures noires du peuple allemand, et donc, témoin précieux,  Hans  Fallada a  décrit  la vie quotidienne du petit peuple pendant la deuxième guerre mondiale à travers les figures emblématiques des habitants d’un immeuble de la Rue Jablonski à Berlin. « Seul dans Berlin » écrit en 1946 sur le grill des événements compose un panorama édifiant de la réalité sociale urbaine. Une galerie de personnages cohabitent,  la famille Persicke fervente soutien du régime, le père poivrot, ses deux fils  à la SS dont un, dirigeant du parti nazi terrorise le quartier, sa fille SS garde un camp de concentration, le couple Rosenthal, mari juif incarcéré pour « fraude à l’exportation » et sa vieille épouse terrée, anéantie par l’angoisse, Borkhausen, mari complaisant de la gardienne d’immeuble et mouchard acoquiné pour les intrigues et les larcins à Enno Kluge  parasite et volage chassé du domicile par Eva sa femme postière lassée de ses frasques, le conseiller à la Cour retraité From, discret et bienveillant envers les voisins victimes de la répression, Otto Quanqel contremaître d’une menuiserie industrielle réquisitionnée pour la fabrication de caisses de munitions puis de cercueils et son épouse Anna. Les Persicke arrosent la capitulation de la France au champagne saisit dans ses caves, quand  les Quangel reçoivent l’annonce du décès en combattant de leur fils unique. Anna  vitupère alors le Führer, son régime mortifère et blâme son époux de son silence complice. Aiguillonné  par le remord de cette disparition, Otto le taciturne, artisan consciencieux de la production de guerre va mûrir un scénario de résistance destiné à faire tâche d’huile. Et de calligraphier chaque dimanche des cartes dénonçant les mensonges et les turpitudes du régime qui seront déposées discrètement par le  couple dans les halls d’immeubles anonymes. Ces cartes fleuriront bientôt par centaines suscitant l’ire paranoïaque de la Gestapo et la traque des auteurs.

Seul dans Berlin débute avec la phase de radicalisation du  régime qui impose le  ralliement de tous à la politique belliciste du Führer au prix d’une surveillance intensive de chaque lieu de vie, cafés, commerces, usines, immeubles, par le réseau des membres du parti et leurs indicateurs. La Gestapo est le fief de soudards malfaisants et alcoolisés dont la brutalité se déchaîne contre les suspects de tiédeur voire d’hostilité au parti nazi. Hans Fallada dépeint un microcosme peuplé de dirigeants grossiers et sadiques, régnant sur une population asservie par la peur. Les cadres de l’ancienne police, de la justice, de l’enseignement ou de la santé se sont pliés au carcan honteux de l’idéologie, participant à l’élimination des « ennemis » du Reich au nom du principe de légalité. On voit un médecin qui euthanasie sur ordre tel « parasite », soigner à l’opium sa propre lâcheté. Seuls les courageux Quangel dont la croisade se prolongera par miracle, rachètent  l’honneur de leur congénère au risque de la guillotine. Seul dans Berlin qui cible le quotidien d’un quartier dans l’euphorie des conquêtes puis dans la tourmente des bombardements enfin dans l’ère des désillusions après Stalingrad rejoint sans déformation manichéenne le constat historique d’un régime qui surveille et punit ses sujets jusqu’aux extrémités du délire de la persécution. Ainsi tout rebelle condamne ses proches mais encore l’ensemble de son réseau d’inter-connaissance!  Au cœur du troisième Reich, la résistance se bornait à des actes protestataires limités en attendant des jours meilleurs  et à assurer sa propre survie! En 1945, Eva Kluge la postière tiède adhérente du parti avait fuit la violence urbaine omniprésente pour se reconstruire à la campagne dans les travaux des champs. A l’instar de Jean Giono, l’auteur croit aux vertus rédemptrices de la terre nourricière, avec la foi du panthéiste.

 

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3 Comments »

  1. annette.pettinger.Kolp dit :

    Très beau texte,très grande justesse dans la description du quotidien des populations civiles à cette époque et dans ce pays.
    Le relationnel au quotidien n’était guère différend dans les populations civiles des pays occupés surtout frontaliers..Je ne puis m’empêcher de penser qu’en « circonstances » égales le relationnel a des « similitudes ».Reste le fond de la question « comment une société civile et avec (quelles circonstances)peut-elle voir venir et freiner la « haine » de l’autre qui se développe et s’accumule au quotidien pour donner vie à la « bête » immonde qui sommeille dans le coeur de l’homme.

    • Aux citoyens, aux groupes sociaux de faire émerger des élites qui privilégient l’empathie et l’accueil de l’étranger à rebours des principales thématiques néo libérales défendues par les partis politiques dominants et les principaux médias. Cordialement.

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