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BAKHITA

21 avril 2018 par Jacques Deruelle

« Femme, mon heure n’est pas venue » répond sèchement Jésus à sa mère venue lui demander assistance car le banquet de Cana manque  de vin. Le fils de Dieu n’est t-il pas sur terre pour épandre la nourriture spirituelle! Conciliant, le Messie satisfera pourtant  aux besoins nutritionnels des convives dans l’espérance d’ atteindre un jour les esprits. Entièrement soumise au système politique  marchand, notre époque manque cruellement de ressources transcendantales et mystiques, un risque majeur pointé à l’époque par le sauveur. Pour éviter que nos âmes ne s’estompent dans une modernité désincarnée et purement matérialiste, c’est en littérature qu’il faut rechercher désormais les prophètes capables de donner vie à des figures exemplaires, des emblèmes revitalisants de notre humanité commune.

L’ambiance mystique est une source puissante d’inspiration.  Enluminant le mur d’une église française, l’écrivaine Véronique Olmi à découvert  la photo d’une sainte à la peau noire, Madre Gioseffa Bakhita  d’origine soudanaise, morte en 1947, dont elle retrace le saisissant parcours dans un roman bouleversant, Bakhita.

En 1869 à l’âge de sept ans, Bakhita est kidnappée avec sa petite sœur aux abords de son village, arrachée au bonheur d’une vie pastorale  et familiale comblée d’amour. Des négriers  ont enlevés une centaine de femmes et enfants pour alimenter le marché aux esclaves de Khartoum.  C’est une expédition de trois cent kilomètres à travers la savane et le désert, chaînes aux pieds, sous les coups de fouets. Beaucoup d’entre eux périssent en chemin, malades achevés, blessés abandonnés aux loups, orphelins dont le bourreau fracasse le crâne. Bakhita endure la faim le froid et les coups forte de sa ligne de vie, la main de sa sœur cadette dont elle est brutalement séparée au cours d’un croisement de caravaniers. L’héroïne portera en elle toute sa vie durant la blessure de ces deux arrachements sans jamais perdre la ressource salvatrice de protéger plus fragile que soi en reproduisant l’acquis des gestes apaisants de la tendresse maternelle.

A Khartoum elle sera achetée à plusieurs reprises comme domestique par des notables musulmans, subira un viol à onze ans, des traitements sadiques en punition d’avoir levé les yeux sur le maître, des bastonnades si la maîtresse superstitieuse a subi un contact lors de son habillage, une séance de torture pour qui veut une esclave décorée de grands tatouages au visage ou sur le corps selon son caprice. Bakhita survivra au calvaire de 114 entailles imprégnées de sel sur tout le corps. Le consul d’Italie la rachète, elle a alors dix sept ans et part en Vénétie pour prendre soin d’un bébé dont elle sauvera la vie en aspirant les mucosités. Là, c’est une langue qu’elle ne comprend pas. Son parlé est un mélange de turc, d’arabe, d’italien sans trace de la langue natale oubliée comme son propre patronyme. Bakhita est son nom d’esclave.

En 1869, à l’occasion d’un voyage en Afrique du Consul, la jeune domestique est temporairement placée à l’institut des catéchumènes de Venise, un ordre de sœurs canossiennes chargé de l’éducation de jeunes orphelins. Au retour des maîtres, Bakhita commettra son seul acte de rébellion fondateur en refusant de quitter le cloître. Elle a toute sa place auprès d’enfants abandonnés victimes de la grande pauvreté si familière à ses yeux d’esclave! Un procès en droit canon lui rendra justice, elle est affranchie au grand déplaisir de la bourgeoisie italienne qui n’a pas aboli le servage. L’église ne pouvait guère  maintenir en esclavage une ouaille qui offrait sa vie au service de Dieu.

Car Bakhita a foi en Dieu, ce grand tout qui offre son royaume aux plus démunis et aux cœurs purs et en Jésus le crucifié dont le calvaire pour le salut des hommes fait écho à son propre chemin de croix. Au terme de deux années d’apprentissage, elle entre dans les ordres, fait merveille à la cuisine de l’Institut, puis se dévoue sans relâche à la gestion de la sacristie. Enfin, en charge de l’accueil des visiteurs, elle parviendra à  convaincre  les esprits  les plus hostiles à sa couleur de peau par sa bonté et son abnégation. On publie le récit de sa vie en feuilleton puis en livre au succès immense tant l’Italie se passionne pour cette histoire miraculeuse de conversion d’une « païenne » soustraite à l’esclavage et à « l’ignorance ».

Sauvée de la « barbarie primitive » par l’action civilisatrice de l’Italie fasciste, son intégration sert les intérêts de Mussolini qui convoite Éthiopie.  Elle est désormais une icône à la démarche claudicante sa mémoire corporelle. Des foules fascinées, que l’église en quête de fonds rassemble la célèbrent, de couvents en lieux de prières à travers le pays. Elle s’éteint à l’âge de soixante dix huit ans et sera déclarée sainte par Jean Paul II.

D’une écriture saccadée comme les battements d’un cœur ardent en permanent danger, Véronique Olmi dresse le portrait poignant d’une femme charismatique. Enfant martyr puis adolescente persécutée Bakhita courbe l’échine mais jamais la conscience. Elle a reçu dans son foyer un amour immodéré qui lui tient lieu de talisman face aux avanies qu’on lui inflige. Son héritage affectif est devenu sur-conscience, facteur de tolérance et  de compassion. Au couvent elle est parfois diabolisée mais sa simplicité désarme, sa bienveillance emporte l’adhésion des enfants, son dévouement indéfectible  séduit les plus farouches visiteurs. Croix de Jésus protectrice en main, elle échappe au statut de victime, en développant sa noble et patiente générosité. Bakhita  c’est le portrait inspirant d’une femme miséricordieuse, une lumière qui marque le lecteur d’une  empreinte immuable.

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Un commentaire »

  1. Marie Irénée dit :

    Madame. Super. Je viens de tomber sur votre œuvre
    Un travail de géant et de vérité au profit des petits

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